FÊTE DES PEUPLES

Publié le 17 Novembre 2021

La Pastorale des migrants vous invite à la Fête des Peuples qu'elle organise le samedi 27 novembre prochain (voir lettre jointe). Si vous souhaitez y tenir un stand ou prendre brièvement la parole, merci de nous le faire savoir par avance.

 

Vous pouvez évidemment transmettre cette invitation dans vos réseaux.

 

Avec nos remerciements. Fraternellement.

 

Pour la Pastorale des Migrants.

René Gobbé

FÊTE DES PEUPLES

Extraits du livre de Benoist de Sinety « Il faut que des voix s’élèvent. Accueil des Migrants, un appel au courage » Flammarion 2018

 

 

Les raisons de l’exil sont innombrables. Chacune raconte un épisode microscopique des fracas de notre époque et des crises de notre monde. Chacun évoque un déchirement : on ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur. C’est un peu de son âme qu’on laisse derrière soi ; un peu de culpabilité aussi : celui qui part abandonne les siens. Une mère âgée, un enfant. Partir, c’est d’abord emporter avec soi une question sans réponse : « Qui veillera sur ceux que j’aime quand je serai là-bas, si loin ? »

Rapporté avec ces mots étranges et ces accents auxquels nous ne sommes pas habitués et qui nous inquiètent – nous effraient davantage que les propos eux-mêmes-, le détail des tragédies des migrants est pourtant très précieux. Chacun raconte une histoire, son histoire. Mais lorsqu’on l’écoute avec soin, le récit est en réalité à chaque fois le même, celui d’un destin brisé. Il teint en quelques mots : « Chez moi, je n’avais plus d’avenir. » (p. 25-26)

 

Sur le chemin, ils n’ont jamais pensé aux allocations, à l’assurance maladie ou aux indemnités chômage. Ceux qui, chez nous, le prétendent se moquent de nous et, surtout, de ceux qui ont franchi notre seuil. Ceux-là ont abandonné leur famille, leur maison, leur terre, leur village, ce qu’ils avaient de plus cher en rêvant de pouvoir construire une nouvelle vie. Combien de fois ont-ils pensé à demain ? Combien de fois se sont-ils donné du courage en imaginant – en fantasmant – ce qu’ils allaient chercher ? Ils n’avaient qu’une chose en tête pendant leur périple : il faudrait se donner du mal et faire des efforts titanesques pour trouver un travail et un logement. Cela se voit dans leurs yeux : ils regardent droit devant eux.

*

Je fais aujourd’hui un constat amer : nous avons peur. Nous avons peur de ces migrants. Nous avons peur de ces réfugiés. Nous avons peur de ces demandeurs d’asile et de ces immigrés. Peur de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui quittent tout – alors que ce « tout » se résume bien souvent à pas grand-chose, à presque rien. Ils arrivent avec le cœur plein d’espoir mais nous n’avons pour eux que haine et mépris. Est-ce parce que, eux, peuvent tout quitter que nous sommes si gênés, si agressifs ? Est-ce parce qu’ils nous renvoient cette question : que pourrions-nous quitter, nous ? Quels sont les liens qui nous paralysent et nous révèlent notre manque de liberté à nous qui pensions être affranchis ? (p. 27-29)

 

Nous avons oublié que, pour des millions de personnes sur la planète, nos pays représentent non seulement un espace de prospérité mais aussi un message : des démocraties pétries par les paroles de l’Evangile, accueillantes et généreuses. En nous fermant aux autres, le masque tombe. Nous signifions au reste du monde que nous ne sommes, en réalité, que des égoïstes. (p. 37)

 

Le zapping émotionnel n’aide pas à réfléchir sereinement. La mort d’Eylan n’a pas permis de chercher des solutions concrètes pour qu’une telle tragédie ne se reproduise jamais. Les bateaux continuent à chavirer. Il y a des centaines d’autres petits Eylan chaque mois. Et nous continuons à avoir peur.

En novembre 2017, le Spiegel, un journal allemand sérieux, a fait le décompte des noyés dans les naufrages connus avec l’aide de plusieurs associations du réseau United. Le chiffre est terrifiant : 33 305 migrants sont morts noyés depuis dix ans en traversant la Méditerranée. La liste des noms occupait quarante-huit pages du magazine avec quelques éléments biographiques pour chacun d’eux, une façon de rendre hommage à ce Sénégalais de trente-cinq ans, décédé en face de Gibraltar, ou à cette famille de huit personnes dont le Zodiac a sombré au large de Lampedusa. Ces 33 305 Eylan qui rêvaient simplement d’un avenir meilleur et à qui nous n’avons pas ouvert la porte parce que nous avons la trouille d’ouvrir notre cœur. (p. 39)

 

Réfugié, migrant… Ces subtilités linguistiques nous empêchent de réfléchir et sont d’une perversité folle : elles nient d’abord le droit de ces femmes et de ces hommes à exister. Comment a-t-on décrété que la situation d’un migrant à la recherche d’un moyen de subsistance est moins grave que celle des réfugiés politiques fuyant une dictature ? Qui a décidé qu’il fallait fermer la porte à un jeune étudiant malien de vingt ans ayant parcouru quatre mille kilomètres dans des conditions abominables et cherchant un futur chez nous ?

Ces catégories purement sémantiques paralysent l’intelligence. (p. 42)

 

Je me souviens d’un tout jeune homme ayant parcouru cinq mille kilomètres pour arriver en France. Il avait failli mourir dix fois pendant ce voyage. Il ne demandait rien, aucun droit social, aucune subvention, aucune allocation. Simplement un minimum de respect. « Chez nous, me disait-il, nous n’avions rien. Ma grand-mère ne savait pas ce qu’elle ferait à manger le soir pour toute la famille. Mais elle me parlait comme à un roi. Elle parlait à tout le monde, à ses voisins, à ceux qu’elle croisait, comme à des princes. Ici, vous parlez à l’autre comme à un chien. Vous ne souriez pas. Comme si vous aviez oublié votre chance de vivre dans un pays si beau. » Il ne comprenait pas notre attitude, notre frilosité. Avec quelques mots simples, il pointait du doigt une terrible réalité : nous sommes tout simplement des enfants gâtés. (p. 43-44)

 

Qu’est-ce que l’homme ? Toute la Bible et la pensée chrétienne ne cessent de chercher à répondre à cette question éblouissante et vertigineuse. Non pas d’abord pour savoir comment il fonctionne – ce qui est important mais pas primordial – mais bien pour cerner ce qu’il est en sa totalité. Corps et esprit, chair et âme… grâce au message du Christ, je sais que toute réflexion et toute politique cessent de servir le Bien dès qu’elles ne cherchent pas à éclairer d’une manière ou d’une autre cette question. […] On ne peut réfléchir à l’accueil du migrant si l’on met de côté cette question essentielle. (p. 48-49)

 

Le devoir des immigrés de s’intégrer dans le pays d’accueil ne consiste pas à leur demander de devenir des gens « comme nous ». C’est ce que disait le cardinal André Vingt-Trois en janvier 2006 : « Il ne s’agit pas de les normaliser dans la culture française telle que nous la comprenons. L’un des objectifs est de leur permettre, non seulement de garder et de cultiver leurs racines nationales et culturelles, mais pour un certain nombre d’entre eux, les plus jeunes, de les découvrir ou de les redécouvrir. » (p. 78)

 

Ce qui me frappe, c’est que cette indifférence est sélective. Notre société sait en effet se mobiliser pour d’innombrables sujets dont beaucoup sont légitimes : pour la défense de l’égalité hommes-femmes dans le monde du travail, pour la défense d’acquis sociaux, pour ou contre la construction d’un aéroport en Loire-Atlantique, etc. La défense des conditions de vie des migrants est, en revanche, un non-sujet. Est-ce parce que le sort de ces hommes et de ces femmes n’est pas aussi fondamental que la lutte contre le harcèlement sexuel ou les débats sur les performances de notre système éducatif ? Est-ce le reflet de notre égoïsme ? (p. 84)

 

La façon dont nous traitons les migrants nous renvoie à une question existentielle et à un enjeu spirituel fondamental : comment traite-t-on les plus petits dans notre société ? Le message du Christ dans ce domaine est universel, puissant et évident : c’est par notre capacité à aimer notre prochain que nous sommes jugés par Dieu. C’est évidemment par sa capacité à accueillir l’autre que le message de la France, de l’Europe, de l’Occident, pourrait redonner un sens à ses valeurs. (p. 89)

 

Ainsi saint Ambroise (340-397) : « Lorsque vous faites l’aumône aux pauvres vous ne vous dépouillez pas de vos biens, mais vous leur rendez ce qui leur appartient de droit. Car vous vous êtes approprié pour votre seul usage ce qui a été donné pour l’usage de tous. La Terre n’appartient pas aux riches, mais à tout le monde. C’est pourquoi loin de vous montrer généreux, vous ne faites que rembourser une partie de votre dette. » (p. 101-102)

 

Le pape Benoît XVI, souvent décrit comme conservateur, est même allé plus loin encore. Le 1er mai 2005, il a publié un document du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants (Erga caristes Christi) d’une clarté sans faille : « L’Eglise a toujours contemplé dans les migrants l’image du Christ qui a dit “ J’étais étranger et vous m’avez accueilli. ” (Evangile de Matthieu 25,35). Pour elle, leurs difficultés sont donc chez les croyants une provocation à la foi et à l’amour, invités qu’ils sont à porter remède aux maux découlant des migrations et à découvrir en elles le dessein de Dieu, même quand elles sont le fruit d’évidentes injustices. Les migrations, en touchant les multiples composantes de la famille humaine, tendent en effet à l’édification d’un corps social toujours plus vaste et varié, presque dans le prolongement de la rencontre des peuples et des races qui, à la Pentecôte, par le don de l’Esprit, est devenue la fraternité ecclésiale. » (p. 103-104)

Merci à Marie-Jeanne BOILLET, notre présidente qui est à l'origine de cet article.

 

Françoise S.